Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 -Les poèmes et les récits de Patricia Laranco :3-12 : Le vide

 

 

Des années-lumière de vide entre la table et le fauteuil.

Une distance exacerbée, aussi profonde qu’un canyon, hiatus interposé soudain entre deux objets immobiles.

L’incomplétude d’une chair, en apesanteur dans la nuit.

Le chant des nuits, chant de grillon; leurs pépites de néant creux; leurs traînées de silence aigu effondré sur sa propre masse.

Un exil. Un manque. Un appel. Cul-de-basse-fosse muet.

Un vertige qui s’établit, insinué dans la chair des choses. Entre chaque atome d’objet, entre chaque cellule du corps, laquelle devient une galaxie; un îlot nu de solitude. Un cri de séparation.

*

Le milieu de la nuit se tait.

Le vide est fait, par soustraction.

L’incertitude est un frisson; qu’entretient le froid orphelin.

Tous les vieux cordons sont coupés. Ne reste plus que cet à-vif. Ce décharnement sidéral. Cette immense ligne de fuite…

 

 

Les  significations  des deux mots clés   “néant  ” et  “vide ”  que la poète utilise dans ce texte  ont toujours été  l’objet de controverses entre les physiciens. D’abord, ils ne sont pas synonymes : le néant veut dire l’inexistence absolue  tandis que le vide  renvoie à un espace donné et cet espace existe. Mais qu’est-ce qu’un espace ?  Si Einstein a prouvé que la notion de temps  disparaît complètement  à la vitesse de la lumière personne n’a pu définir après lui celle de l’espace .

Dans ce poème-ci, l’auteure tente de dévoiler l’essence de ces deux notions, non  à l’aide d’une instrumentation sophistiquée et des méthodologies qu’utilisent  les hommes et les femmes de science  mais en empruntant la voie spécifique des poètes , munie uniquement de sa sensibilité aiguisée et de  son imagination féconde. Et le résultat est ahurissant : les dimensions  perdent leurs mesures logiques (des années-lumière de vide entre la table et le fauteuil / chaque cellule du corps, laquelle devient une galaxie  )  et  les sons  se confondent avec le silence  (Le chant des nuits, chant de grillon; leurs pépites de néant creux; leurs traînées de silence aigu effondré sur sa propre masse ) comme si les objets  n’avaient aucune existence  en dehors de l’illusion  perceptive des humains et autres créatures vivantes . Ces vérités  effroyables que découvre l’auteure  ne manquent pas  de susciter  chez elle le vertige, l’incertitude  et la sensation de solitude qu’elle projette à son tour  sur  le monde environnant régi par l’illogique et le non-sens.

Bref, Patricia  nous a fait part  dans ce texte extrêmement condensé et bourré d’images déroutantes d’une expérience certes subjective mais dont les  physiciens ont  tout intérêt à  connaître. Peut-être qu’ils y trouveront quelques réponses aux questions qu’ils se sont toujours posées sur les notions de  “néant” et de  ” vide ” .

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