Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :6 -Les poèmes de Calli Mondésir :4 -8 :Brèche dans le temps

Calli Mondésir

 

On est d’un pas de l’avenir

Le ciel contrit laisse entrevoir

Des fuites de silence dans sa mine

Un peu de paix qui démembre

Les fauves carcasses d’un vécu moribond.

 

Les braises des nuits incandescentes

Les simulacres des puits de déboires se dégainent

Décrépitude de la vieillesse

Quand se profuse l’aube badine. 

 

On est d’un pas de l’avenir

Le temps au temps de respirer un peu

Ressentir au vide l’ardeur de sa trêve

Car encore plus ample est l’à venir.

 

On est d’un pas de l’avenir

Un pont sépare l’instant et l’infini

Place aux rêves et à leur sort

Laisser passer les avalanches

Les satires des illusions naïves

Laisser passer les cascades de feu et de folles fougues

L’avenir a besoin de pluies et d’espoir

Pour habiter sa nudité.

 

Il faut aussi un peu de place aux souvenirs

Quoiqu’ils nous ont offusqués,

Quoiqu’ils nous ont si bien O Dieu pétris

D’odieuses habitudes

 

Mais…

 

Chaque souvenir est une bribe de nous

Que le temps moissonne dans sa course.

 

On est d’un pas de l’avenir

Certains hardis,

Certains confus de franchir

les rives d’une nouvelle épisode.

 

Nous sommes des fils du passé

Et tous en nous portons

Des taches de transes pour l’avenir

Tant d’allégresses,

Tant d’affolements,

Tant d’illusions assaillant la mémoire

Le choc des complaintes

Invoque dans l’âme

L’explosion de l’inconscience.

 

Pourtant l’avenir est peut-être

Juste une comédie du temps

Où chaque instant est une ritournelle du passé.

 

Il n’est rien d’étonnant que la tragédie séculaire vécue par la race noire dans le Nouveau Monde en général et à Haïti ,l’île natale du poète, en particulier, et portée à son plus haut point dans  la conscience collective comme une injustice infligée par le destin, aboutisse à une réflexion sur la condition métaphysique de cette race,  tel que nous le voyons dans ce poème où l’auteur , malgré son jeune âge , se livre à un questionnement douloureux sur la relation : homme / temps  , passant ainsi du simple poète au philosophe .

Appréhendée dans le cadre particulier de cette tragédie , la relation en question  est perçue par l’auteur comme un calvaire permanent  et incontournable imposé par le destin mais pendant lequel le noir a droit , de temps en temps , à une trêve ( des fuites de silences un peu de paix  –  se profuse l’aube badine – le temps au temps de respirer un peu – place aux rêves et à leur sort – l’avenir a besoin de pluies et d’espoir …) ,  pareille , en quelque sorte , à la brève récréation dont on fait jouir les prisonniers  et qui ne dépasse guère le regard fugace  sur l’avenir de la part d’êtres condamnés par la fatalité et sans avenir , une idée  que le poète formule très clairement dans la strophe finale en  ces termes (l’avenir est peut-être juste une comédie du temps où chaque instant est une ritournelle du passé ) . Ce que contredit ,  cependant , la croyance dure comme fer en l’avenir de l’homme noir qu’il a affichée  dans d’autres  poèmes  . Ce qui montre qu’ils’agit ici  d’un état d’âme passager dû à l’impasse dans laquelle se trouve l’intellectuel noir  devant l’ampleur de  sa tragédie et la précarité extrême de sa condition et non d’une conclusion consistante et définitive .

 

 

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