Mohamed Ben Abaa ,l’instituteur dissident et le militant oublié!

La salle où j’ai passé ma première année primaire

Mon école primaire (L’image à droite)

 

Parmi les maîtres qui m’avaient profondément marqué, lors de mes études à l’école primaire, l’instituteur du français Mohamed Ben Abaa qui m’avait enseigné à l’école primaire de Carthage-Dermech en deuxième année puis en sixième l’année, l’année terminale au cours de laquelle on préparait le certificat d’études primaires et le concours d’entrée à l’enseignement secondaire. C’était un instituteur dissident au sens propre du mot :il n’enseignait ni grammaire, ni calcul, ni leçons de choses , ni explication de textes comme le stipulait le programme officiel du ministère de l’éducation ,mais uniquement la dictée et les problèmes de mathématiques , en consacrant à chacune de ces deux matières une heure par jour du lundi à samedi.
Pour enseigner la dictée, il faisait sortir un élève au tableau et lui dictait un texte phrase après phrase, tout en offrant aux autres l’occasion de l’arrêter chaque fois qu’il commet une faute d’orthographe et de la lui corriger. Et au cas où toute la classe ne s’aperçoit pas d’une faute quelconque ou ne parvient pas à la corriger, il intervenait lui-même et donnait la règle qui régit le cas en question. C’était, en quelque sorte, ce qu’on appelle aujourd’hui l’enseignement fonctionnel de la grammaire qui se pratique à partir de l’usage de la langue et non de cours théoriques suivis d’exemples isolés pour illustrer la règle. Quant aux mathématiques, il préférait aussi les enseigner uniquement à partir de problèmes choisis qu’il donnait à résoudre aux élèves, en faisant passer un élève au tableau et incitant les autres à corriger toutes les fautes qu’il commet. Et là aussi il donnait aux élèves la règle régissant tout cas problématique.
Il est à remarquer que M. Ben Aba ne portait jamais un cartable et avait toujours à la main un petit dossier contenant les textes qu’il dicte et les problèmes qu’il pose . Il était aussi le seul instituteur de notre école qui n’avait pas avec lui un bâton et qui n’utilisait point les punitions corporelles .En plus, il ne possédait pas une voiture et prenait le train avec les élèves .Et contrairement aux autres instituteurs qui ne nous adressaient pas la parole en dehors de la classe , il nous laissait l’accompagner de l’école à la gare et de la gare à l’école. Et rarement nous le voyions avec l’un de ses collègues.
Mais le plus important dans cette façon d’enseigner est le taux de réussite élevé chaque fin d’année parmi ses élèves, ce qui obligeait, paraît-il, la direction de fermer l’œil et se taire. Autre chose à signaler également est que malgré les visites fréquentes qu’effectuaient les inspecteurs à notre école, jamais l’un d’eux n’a mis les pieds dans les classes de M.Ben Aba.
Plus tard, j’avais compris que cet instituteur différent de tous les autres était l’un des adeptes de la méthode de Célestine Freinet (1896 -1966) et puisqu’il avait donné de très bons résultats, les autorités pédagogiques lui permettaient probablement d’enseigner comme il le voulait.
J’avais su aussi, en fouinant dans les archives du centre national de documentation qu’il était avant l’indépendance un fervent nationaliste et un responsable dans des journaux militants dont :
1-L’action nord-africaine,un hebdomadaire qui avait paru de janvier 1939 à mai 1939 :
Directeur :Mansour Ben Romdhane
Comité de rédaction : Habib Chatti-Mohamed Ben Aba –Mohamed Noureddine
Adresse :54 , rue Sidi Ben Zied , Tunis
2-La voix des jeunes néo-destouriens , un hebdomadaire qui avait paru du 10 juin 1939 au 7juillet 1939 (suspendu).
Directeur :Rachid Driss
Rédacteur en chef :Mohamed Ben Abaa
3-La jeune Tunisie ,un hebdomadaire qui avait paru du 15juin 1947 au 15 mars 1949 :
Directeur :Mohamed Ben Abaa( secrétaire général du syndicat des journalistes ).
Comité de rédaction : Mohamed Lajimi- Hédi Mabrouk –Habib Chatti –Farhat Hached .
Adresse ; 5, rue Chachia ,Tunis
Ce journal avat été suspendu le 10 juillet 1947.
En 1963 alors que j’étais élève au lycée de Carthage, j’avais appris la triste nouvelle de sa mort dans un accident de la route avec deux de ses collègues à l’intersection entre les route de la Marsa ,Sidi Daoud et Douar-Echchot(Byrsa aujourd’hui).Ils venaient ensemble de notre école en direction de la Marsa.
Que Dieu couvre notre maître Mohamed Ben Abaa de sa sainte miséricorde !
C’était un grand homme auquel l’histoire n’a pas rendu justice !

 

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