L’article que je n’ai publié dans aucun de mes livres par :Mohamed Salah Ben Amor

Salah Garmadi

Feu Salah Garmadi (1933 -1982), notre professeur de linguistique à la faculté des lettres et des sciences humaines de Tunis au début des années 70, était un universitaire « dissident » , car contrairement à la grande majorité de ses collègues, on le voyait le plus souvent assis dans les cafés de Tunis, en compagnie des poètes, des écrivains et des artistes. Et c’était de là qu’il partait souvent vers la faculté à pied lorsqu’il avait cours ou y retournait à pied aussi.
Depuis notre entrée à la faculté, on nous disait qu’il est communiste mais, pour être fidèle, il n’avait jamais prononcé un mot sur la politique en classe, faisant ainsi preuve de responsabilité pédagogique et de non-amalgame entre le rôle scientifique de l’enseignant et ses convictions intellectuelles.

Et nous lui vouions un grand respect pour cela, ainsi que pour sa grande maîtrise de la matière qu’il enseignait.
En 1974, j’enseignais au secondaire au lycée de Bouarada , un village situé au nord-ouest du pays et faisais la navette une fois par semaine entre ce village et Tunis.
Un jour, je suis entré dans un restaurant populaire de la vieille Médina de Tunis et j’y ai trouvé notre professeur attablé tout seul et devant lui une assiette de lablabi (un plat populaire tunisien , préparé à base de pois chiches, d’ail, de cumin ou de carvi, d’huile d’olive ,de sel, de poivre et d’harissa ). Je me suis assis près de lui et j’ai commandé le même plat . Après avoir échangé avec moi quelques mots, il ouvre son cartable et en sort un nouveau recueil de poèmes intitulé Nos ancêtres les bédouins qu’il venait de publier en France. Il m’écrit un mot de dédicace et me le tend en disant : « Je te recommande de le maltraiter et gare à toi d’être complaisant avec moi !».
Rentré chez moi, je me suis mis à lire et à relire ce recueil puis j’ai fait comme il le voulait: j’ai écrit un article acerbe que j’ai fait publier dans le journal « Assada »(l’écho).
Quelques semaines plus tard, j’ai rencontré Si Salah près du café de Paris à Tunis et dès qu’il me vit il m’a dit : « Je t’ai demandé de le maltraiter et non de le tuer. Tu n’y as trouvé vraiment aucune lueur … ? », avant d’ajouter : »Enfin… ! ».Et il s’en alla tout en colère.
Pour cette raison, je n’ai inséré cet article dans aucun des trente-quatre livres que j’ai écrits sur la littérature tunisienne !

 

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