Le jour de la circoncision : récit de Bhiri Abdellatif – Safi –Maroc

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Abdellatif Bhiri

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On ne peut évoquer la petite enfance sans parler de cette frustration, de ce traumatisme infantile qui consiste à enlever le prépuce qui couvre le gland et une partie du corps du pénis. La plupart du temps, cette opération s’effectue à un âge très précoce. Chez nous, on attend toujours jusqu’à ce que vous en soyez conscient !
La circoncision comme souvenir douloureux est une séquence où se mélange le bonheur de la famille et le malheur du circoncis
Si l’accouchement est un traumatisme pour les mamans, la circoncision est ce qu’il y a de pire pour les garçons qui ont en vécu les affres.
J’avais peut-être quatre ou cinq ans, quand par un beau matin estival (forcément toutes les grandes occasions étaient liées à la mousson à cette époque-là !), ma mère me réveilla plus tôt que de coutume. Elle me lava et m’habilla de vêtements traditionnels, une gandoura blanche et des babouches d’un jaune éclatant. Elle avait omis de m’enfiler mon slip, mais je n’osai lui souffler mot ! Comble de bonheur matinal, elle me donna tout un paquet de biscuit « Henry’s » dont je raffolais. A la fois sidéré et enorgueilli d’être si généreusement chouchouté, un étrange sentiment s’empara de moi. Je soupçonnais une manigance qui se tramait à mon insu, mais je n’arrivais pas à la déceler.
Ma mère souriait mais ce n’était aucunement ce sourire maternel que je chéris toujours.
Emmené par ma mère ainsi tiré à quatre épingles, nous rentrâmes dans la grande pièce de la maison de mon oncle. Là où d’habitude les enfants n’avaient pas droit d’accès, c’était comme un temple interdit aux intouchables ! Quelle ne fut ma surprise lorsque j’aperçus mes deux cousins parfaitement habillés comme moi, tenant chacun un paquet de biscuits ! On eut dit des clones, même à cette époque-là ! Les adultes alentour semblaient parler, mais c’étaient plus des chuchotements et des murmures…Pendant ce temps-là, les trois élus du jour, observaient, sans expression. Mais d’un moment à un autre, ils ne pouvaient s’empêcher d’admirer leur nouvelle parure.
Puis, le moment fatidique arriva. Comme le jour de l’Aïd El Kébir, il fallait choisir le premier mouton à sacrifier. La sentence tomba prestement. Mon oncle et mon grand frère me soulevèrent et m’emmenèrent dans une pièce attenante puis refermèrent la porte. Là, mon sang ne fit plus qu’un tour. Cette pièce m’était trop familière, mais cette fois-ci elle était métamorphosée. Elle n’était décorée que d’un tapis artisanal au milieu duquel était déposé, à l’envers, un large récipient en argile polyvalent (Kasria) qui sert à pétrir la farine et à servir le couscous. A côté, était posé un étui d’objets curieux que je voyais pour la première fois. Mon oncle essayait de me rasséréner en m’invitant maintes fois à déguster mon biscuit. J’acquiesçais, mais celui-ci fendait dans ma bouche comme du coton, sans saveur.
Le décor improvisé de la pièce n’augurait rien de bon pour moi. On dirait un bloc opératoire dans un camp de réfugiés ! Quelques instants plus tard, un gaillard en blouse blanche surgit de je ne sais où. Il paraissait traqué par le temps. Il fit un signe et je me voyais soulevé dans l’air et déposé au dessus de la Kasria. Jusque-là, c’était plus de peur que de mal. Mais quelle fut mon indignation lorsque les adultes m’écartèrent les jambes et exhibèrent mon appareil génital en offrande au Hajjam (infirmier artisanal qui n’était que le coiffeur du quartier). Je ne pus me retenir et par un sursaut d’orgueil infantile, je gesticulais de toutes mes petites forces en grommelant des balbutiements vains. J’essayais de comprendre ce qui m’arrivait. Pourquoi ces adultes s’acharnaient-t-ils sur moi avec toute leur vigueur ? Je plongeais dans des méditations interminables, lorsque mon grand frère m’interpella et me dit de regarder au plafond pour voir un oiseau ! Juste au moment où je levai mes yeux au plafond, je sentis au bas de mon corps une imperceptible brûlure et en baissant mes yeux je fus suffoqué de voir mon zizi tout ensanglanté! Quelques secondes après, une douleur incommensurable et indescriptible envahit mon corps, je criai à tue-tête et me démenai farouchement. Le Hajjam ne perdit aucunement son sang froid, il sortit de l’éosine, une sorte de poudre blanche et commença à badigeonner mon pénis pour le recouvrir enfin avec un morceau de gaze. Une opération in vivo ! Ma douleur atteignit son paroxysme, les adultes en riaient. Ma gandoura, naguère immaculée, se couvrit de tâches de sang, mes babouches s’égarèrent et mes biscuits se dispersèrent.
Une semaine après ce jour tristement mémorable, d’autres festivités se préparèrent, j’avais toujours le pénis dans l’air. La zone excisée demeurait rouge et un écoulement jaunâtre ne cessait de s’écouler.
Il m’a fallu une quinzaine de jours pour pouvoir refiler mon slip, me débarrasser de la gandoura, des babouches et retrouver la saveur des biscuits.

(Extrait du recueil Florilège des Roses en folie)

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