Un jour je prendrais le chemin des arbres ( deuxième partie) : conte de Rémy Ducassé dit Erdé- Bastia –France

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Rémy Ducassé dit Erdé

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…/ « J’ai eu honte, tellement honte. Le bois, comprends-tu, p’tit, ne dit pas son nom. Le bois est vivant et fier, comme les hommes. Le bois est noble. Au moins aussi vivant, fier et noble que la pierre.
Lui aussi sait résister à la main. Il ne se commet pas avec n’importe quel premier venu. Il n’étincelle pas sous le premier vernis. Il ne fait pas semblant. Il n’est pas là pour briller, éphémère. Il est là, lui aussi pour durer. Il garde ses tabous, ses distances. Il se mérite le bois. Il s’apprivoise peu à peu, juste au bout des doigts. Il se laisse flatter du regard, du plat de la main, dans une lente et délicate caresse, longtemps. Il est plein de senteurs. Tel une fiancée, le bois se fait désirer. Quelque fois, il s’irrite, met des échardes aux paumes des mains de l’apprenti malhabile, que je suis…/

…/Il est plein de reflets, de moisissures, de blondes veines de vagues d’écume enfermées. Des airs de chevelures féminines captives. Le bois te raconte la forêt, les chasseurs, le galop sourd et buté du sanglier qui charge, hure baissée, le renard dont tu retrouves la couleur de la queue, à la surface d’une planche bien plane, là juste celle que tu viens de débiter. Imagine la queue d’un renard sous tes coudes appuyés à la table familiale. Il te fait entendre les milliers de chants d’oiseaux venus s’abriter dans sa ramure, du temps béni où il était encore fièrement planté au milieu de ses frères. Si tu prêtes attentivement l’oreille, tu entendras même leurs parades nuptiales ».

– « Le bois mon garçon, reprit mon grand-père après une courte pause, le bois vient aussi bien du chaud que du froid. Le bois garde les souvenirs en lui. Les nôtres, ceux des vivants et ceux des morts. Ceux de toute la nature qui les a entourés, lorsqu’ils étaient dressés – grands, forts et dressés.

Les arbres nous gardent, nous protègent, fiers, patients, fidèles et droits…/

…/Un jour il y a très longtemps entre eux et nous, l’amour s’est gâté. Une sorte de divorce, un début d’injustice jamais réparée, une guerre qui n’a jamais cessée. Une cause de souffrance. Les arbres eux ont tout leur temps, pas nous. On s’agite, on court sans cesse. Sans jamais trop savoir, ni pourquoi, ni vers où l’on court. Une fuite en avant éperdue, désespérée. Puis un jour sonne l’heure de notre départ : alors ils nous attendent.
Toute notre vie, on s’impatiente. Les arbres patientent. Finalement, il nous faut heureusement, bon gré, mal gré quitter ce monde. Mais pour nous venger de ce départ auquel on ne peut se soustraire, cet embarquement au dernier quai du dernier port de la vie, on les amène sots que nous sommes, avec nous en terre.
Dernières marques de la vanité…/

…/L’arbre est là tout autour de nous et ne dit jamais rien. Si les arbres pleuraient, appelaient au secours, nous traitaient d’assassins, s’ils gémissaient un jour comme nous pouvons gémir sans cesse – essaye d’imaginer mon grand le vacarme assourdissant que cela ferait…/

…/Un jour, mes copeaux retrouveront leur sève, la sève son arbre et l’arbre sa forêt. Un jour, tous les lits, toutes les tables, tous les buffets, toutes les armoires, tous les berceaux que j’aimais pour les avoir vu naître de mes mains, refleuriront en terre sauvage.
Ce jour là mes outils : mon rabot, ma varlope, mes gouges, mes râpes, mon trusquin, mon pointeau refleuriront aussi ».

Joseph mon tout premier maître, fit une pause, comme pour reprendre son souffle, un peu fatigué.
– « Alors je te le dis mon garçon – j’accrocherai au clou la clef de mon atelier. Je prendrai mon bissac, chausserai mes souliers ferrés. Je suivrai le tremble, le chêne, l’orme, le frêne, le noyer et le sapin qui m’ouvriront tous la route.

Comme l’arbre va son chemin vers le ciel, les racines bien en terre, le faîte au vent. Ce vent si grisant et si puissant que l’on nomme chez moi : « l’Autan ». Je prendrai moi aussi enfin « Le chemin des arbres », sans trembler. Pour qu’ils m’expliquent ainsi chacun à leur manière, la véritable nature des hommes ».

Cette histoire je vous l’offre elle constitue la dernière chimère, que j’ai écrite pour vous. Je vous la confie pour que vous en fassiez bon usage. Et comme on dit chez moi :

« Clic clac moùn counte ès aquabat !!! Boun soun !!! »…« Clic clac mon conte est achevé !!! Bon sommeil ».

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