L’homme au perroquet ( 2ème partie ) : par :Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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Je suis un modeste fonctionnaire travaillant aux quatre coins du monde. Accompagné par ma mère, je viens d’arriver à Bruxelles. A la recherche d’un logement, je tombe soudainement sur un homme prénommé Leonardo, qui semble avoir bien des choses à cacher…
Jaco est partie

Grosse récompense pour celui qui trouve mon perroquet de Gabon – Jaco, une femelle parlante au plumage gris. (…) S’est envolé dernièrement sans laisser de traces…

L’annonce attira mon attention, surtout à cause de cette histoire troublante dont j’ai été témoin dernièrement, concernant un Italien, habitant la capitale de Belgique et son professeur de piano. Tout les deux, rencontrés à deux reprises dans des circonstances étranges, un mois auparavant, tourmentaient toujours ma conscience.
Finalement, nous avons trouvé, avec maman, un appartement, tant recherché à Bruxelles. Il était d’ailleurs situé à deux pas de l’endroit où notre Leonardo nous vantait la beauté divine de sa jeune épouse.
J’attendais à l’arrêt le tram qui était en retard, sous la pluie bien évidemment – il ne faut pas oublier quand même où on habite- en réfléchissant sur ce que je vais bien pouvoir faire aujourd’hui au travail. Mon boulot m’intéressait de moins en moins. Parfois, il m’arrivait même de m’endormir sur mon bureau. Mais maman répétait toujours qu’il n’y a pas plus stable et plus sûr que le métier de fonctionnaire. En plus, elle adorait voyager et quelques jours à peine après notre installation quelque part, elle rêvait déjà de la destination suivante.
Le tram arriva et je n’ai pas eu le temps de lire l’annonce jusqu’au bout. Dans la chaleur de la rame bondée à cette heure de pointe, je me suis encore endormi. Décidément, j’ai du me faire piquer par la mouche tsé-tsé au temps de mon dernier poste au Gabon. Je m’endormais absolument partout : dans les moyens de locomotion qui me menaient et me ramenaient du travail (combien de fois j’étais obligé de reprendre un autre tram dans le sens inverse !), au concert, ce qui me valait les coups de coude de maman et surtout, le plus souvent, dans mon bureau douillet. Par contre la nuit, je n’arrivais pas à bien me reposer. Mon sommeil entrecoupé de cauchemars et de douleurs intenses d’estomac, me rendait fatigué et facilement irritable. La cuisine de mère y était sûrement pour quelque chose, très lourde et consistante. Elle me ramenait au temps de mon enfance. Parfois pourtant, je la taquinais en niant tous nos souvenirs en commun, ce qui la mettait en rage. Je rigolais ensuite tout seul dans ma chambre.
– Qu’est-ce qui te fait rire encore ? Dis moi, peut -être je rigolerais aussi – sa voix exaspérée arrivait jusqu’au moi.
– Non, rien, rien. Dors. – J’essayais de me calmer, mais un fou rire ne se laissait pas chasser aussi vite. Vous savez, le rire bête et incontrôlable qui vous prend pendant une grande cérémonie familiale, très solennelle, ou bien lors d’un enterrement. Ce qui fait de vous le monstre dans le regard des autres.

Qu’est-ce qu’il est arrivé au pauvre Jaco – je pensais toute la journée. – Est-ce un perroquet qui se fait la belle ou bien la jeune fille en gris ?
Au retour, pour une fois très attentif à l’arrêt de tram, j’attendais avec impatience mon square. Je me suis jeté encore une fois à lire l’annonce désespérée : « Jaco est partie…», disait le pauvre propriétaire – « sans laisser de traces ». Mais quelle trace voulait-il qu’il lui laisse ce pauvre animal? Vraiment, il y a de ces gens… Oh là là ! – je me suis écrié soudainement – « contacter Mr Leonardo… » – Non, c’est impossible ! La nouvelle était trop incroyable. Machinalement, je me suis dirigé vers l’ancienne demeure du supposé propriétaire de la malheureuse bête. Plus je m’approchais, plus nombreux étaient les petites feuilles blanches collées et agrafées dans des endroits les plus improbables. A l’entrée de l’immeuble, une énorme affiche répétait inlassablement. « Jaco est partie… »
Soudain, je sentis une sorte de vertige. D’un coup, je voyais tout noir. Mais pourquoi, pour quelle raison, au diable je m’intéressais autant à cette bestiole et à son propriétaire ? Un animal s’est échappé, un point, c’est tout. Et, par hasard, je connaissais son propriétaire… et alors. Subitement triste et abattu, je me suis traîné pas à pas vers ma maison.
Nous habitions au deuxième étage d’un ancien hôtel particulier construit en 1900 et découpé maintenant en appartements. En fait, je parle toujours de Bruxelles, mais ce lieu que je décris, se situait déjà dans sa proche banlieue – Uccle. L’endroit tant fréquenté par Charles Baudelaire pendant son séjour bruxellois en 1864. Il a immortalisé son séjour par un petit poème intitulé « Un Cabaret folâtre sur la route de Bruxelles à Uccle »

Vous qui raffolez des squelettes
Et des emblèmes détestés,
Pour épicer les voluptés,
(Fût-ce de simples omelettes !)

Vieux Pharaon, ô Monselet !
Devant cette enseigne imprévue,
J’ai rêvé de vous : À la vue
Du Cimetière, Estaminet !

Évidemment notre immeuble n’existait pas encore, mais tout ce vieux quartier autour de l’église St Pierre, vivant et bruyant, attirait les artistes par son coté pittoresque.
Pour nous, c’était un endroit magnifique, malgré quelques petits inconvénients d’habitation, notamment le bruit constant de l’avenue Brugmann avec tous ses tramways et son trafic automobile intense. Jours et nuits, les ambulances survolaient l’avenue en emmenant les malheureux dans des trois hôpitaux tout proches. Le bruit des sirènes de police, particulièrement actif, tranchait l’air inlassablement. Quand au décor extérieur, très proche à mon cœur (ce qui a penché, d’ailleurs, la balance du choix pendant notre recherche de location), bien original, avec ses fenêtres blanches et aérées, aux formes fantaisistes, nous compensait d’autres incommodités. J’ai toujours été très sensible à la beauté, aussi bien architecturale que féminine…
Maman m’attendait déjà, mécontente de mon retard.
– T’aurais pu appeler pour signaler que tu viens plus tard – elle me le reprocha amèrement – je me suis inquiétée. Et, en plus, comme on n’a pas prévu quoi faire à dîner je n’ai rien préparé – elle ajouta triomphalement. C’était ma punition.
– Maman, tu sais bien, que le soir je n’aime manger que la soupe, sinon je suis malade toute la nuit. La soupe en poudre – j’ai insisté – il suffit de prendre le ciseau et ouvrir le sachet.
– Mon petit – tu n’as jamais mangé auparavant une telle cochonnerie, donc je ne vois pas pourquoi je t’en préparerais maintenant.
Elle semblait vraiment en colère. Je ne voulais pas ajouter de l’huile sur le feu en soulignant que pendant ses nombreuses absences dues aux voyages dans des pays lointains, auxquels elle se donnait avec une véritable joie et passion, entourée par ses anciennes copines du club de « l’aiguille en or », je n’ai mangé que ça, en me portant à merveille.
Elle était visiblement fâchée et de mauvais poil. Mal plumée… – j’ai inventé une nouvelle expression pour les circonstances et j’ai rigolé intérieurement.
Finalement, j’ai ouvert un paquet de chips et à son grand désespoir, je l’ai vidé entièrement. Elle ne m’adressa plus la parole de toute la soirée. Pour faire la paix, je l’ai appelée : – Maman, maman !!!
– Oui ? Qu’est que tu veux ?
– Tu te rappelles l’Italien, Leonardo, avec son appartement coquet qu’on a faillit louer ?
– Quoi ? Qui ? Ah… oui…. Ce charmant jeune homme, très élégant…

Ca y est la mémoire lui revenait…
– Le parquet de son appartement était en frêne et il utilisait « La blanche neige » pour le nettoyer… Tu sais, « La blanche neige » c’est le meilleur produit pour ce genre de tâche. Isabelle avait une voisine, dont la grande mère de sa tante disait toujours à la petite fille de son neveu que…
– Maman ! … Finalement je mangerais bien quelque chose de plus… de plus consistant – j’ai gémi.
– Oh, mon pauvre petit, je t’ai complètement oublié, et tu as travaillé si durement toute la journée !
Je n’osais pas lui avouer, que mon travail comportait aujourd’hui le déplacement d’un pile de dossiers d’un côté du bureau vers l’autre, et tout cet effort entrecoupé d’un déjeuner copieux avec les copains et une pause café. Laissons la rêver – j’ai décidé silencieusement.

Quelques jours plus tard après mon retour du bureau, j’ai appris une nouvelle incroyable. Tout immeuble ne parlait que de ça. Le cadavre d’une jeune fille gisait dans le parc de Volveandal.
– Elle était toute vêtue de gris – s’excitait maman. – T’imagines, toute en gris, les chaussures, les bas, les sous-vêtements, la jupe…
– Oui, oui, j’ai compris ! Et alors ?
– Comment ça, et alors ? Une fille s’est fait sauvagement assassiner à proximité de notre lieu d’habitation et tu demandes « et alors ? ». Non, mais vraiment, tu es inconscient, mon pauvre, et si c’était ta mère la victime?
Mais ce n’est pas ma mère – j’ai pensé, alors que je n’ai rien dit. Elle continua avec des détails sordides.
– … et tu sais… j’ai vu dans le journal, les photos de la pauvre (vraiment une image horrible, mais horrible…). Elle était vêtue d’un pull tricoté à la main, d’une maille très ancienne. J’ai déjà aperçu un travail semblable quelque part, mais je ne me rappelle plus vraiment…
– Le pull ? … Le pull gris !!!???
– Oui… mais comment tu le sais ? Tu as lu les journaux ?
– Non, non, c’est toi qui viens de me dire qu’elle était toute en gris.
– Ah ouiiiii, bien sûr. En plus, tu sais, j’ai appelé la tante de Jacqueline cet après-midi et (elle m’avait promis de venir bientôt nous rendre visite)… qu’est-ce que je voulais dire déjà ?
– Que tu as appelé la tante de Jacqueline – j’ai répété machinalement.
– A oui… alors au sujet de ce tricot, elle m’avait réconforté…
– Maman…
– …qu’il n’est pas impossible, parce qu’elle s’y connaît… tu sais, quand elle était jeune, il y a très très longtemps et elle…
– Maman !
– Oui…
– Je sais où on a vu ce pullover.
– Quel pullover ?
– Mais, celui dont tu me parles.
– Où ?
– Chez l’Italien !
– Oooo, encore cet Italien ! Ce n’est pas possible ! Pourquoi tu t’intéresses autant à lui ?- elle me dévisagea avec l’inquiétude.
– Rappelle-toi, la prof de piano…

Un long silence tomba.
– Mais, bien sûr, où avais-je la tête ? Évidemment. La jeune femme portait, elle aussi, un pull gris, fait avec… ce… genre… de… Mon petit !!! Il faut aller à la police. Tout de suite. C’est la fille de l’Italien !
– D’abord, ce n’était pas sa fille et ensuite nous ne sommes même pas sûrs qu’il y ait une liaison quelconque. Et puis, pourquoi porter des accusations sur un homme, peut-être tout à fait innocent ?

Finalement, nous avons décidé de mener seuls notre petite enquête. Le lendemain, maman en « spécialiste , interrogea la concierge et moi, je faisais des recherches sur l’internet. D’un coup, les heures de travail ne semblaient plus interminables, bien au contraire, et je restais bien éveillé toute la journée.
Et le soir, j’ai eu droit aux milles et une données de la vie de l’immeuble voisin, concernant même l’état des plantes sur le toit. Quant à la vie de Leonardo, maman ajouta sans grande émotion – parti, depuis un mois. Et elle passa immédiatement à l’état de l’ascenseur, chose tout à fait insignifiante pour nous en ce moment:
– Heureusement qu’on n’a pas loué là bas, il est toujours en panne – s’écria-t-elle.

A suivre…

 

                                                                                                                               Monika Del Rio

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