Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 28–Les poèmes de Najib Bendaoud : 28 –14: Paroles de mon amie la prostituée

Najib Bendaoud

 

Je suis une prostituée voulant te voir

Où plutôt piocher dans ta poche ce soir

Vider de sens tes déboires 

Les quelques méandres d’un boudoir

Je suis moite, faite pour te recevoir

Remplir ton âme de purgatoires

Couvrir ta peau de châtiments noirs  

Mon corps froidement vide

A tes envies fadement avides   

Une belle prostituée humide

Attendant impatiemment ton ode

Une malheureuse strophe

D’une musique amorphe

Ecoute espèce de fou con

Tu n’es pas le premier faucon

Dans ma nuit fêtarde

Plein de « Au suivant »

J’ai fait deux petits cons en quelques instants

Et pourquoi pas un troisième grand con

Mon frère meurt entre mes jambes

De joie de fumer ton cœur malade

Et ma mère attend le déluge d’une bête salade

Et mon père caressant pauvrement

Son corps malade 

Et un temps fluide et insaisissable  

Flottant autour de mes hanches désossées 

Et moi à vingt ans de plaisir

Dans un hôtel de passe

Je meurs de chanter ma délivrance

Je m’offre à tes vilaines joies

Je me noie dans mon lit sans couleurs  

Et je reçois mes vieux anges rôdeurs

Mes hôtes généreux et sauvages

Ils puent terriblement le carnage    

Avec leur alcool et leurs bouches

Avec leur argent et leurs mouches    

Ma peau, ma drogue et ma serviette

A la disposition d’un ordre carnivore  

Je respire des caresses fades

Ton odeur et ton vol dans ma chatte

Tu abuses de ma hâte

Et j’abuse de ta rate

Le compte est bon

Je ne suis plus musique

Ni ta honte souillée

Ni ton art infect   

Je suis tes seins et ton ventre malsain   

Tes verres remplis de tes désirs ardents

Et de mes humbles vins

Des lèvres converties en mâchoires

Des regards blancs imparfaits

Des draps parfaitement noirs

Tout cajole mon désespoir  

Je suis une belle prostituée

Au cul rond en détresse

Aux yeux brulants d’ivresse      

Et je mange mon ambiance insalubre

Le long de mes vingt ans de ramassage 

Dans vos hôtels affreusement impurs

 

Abstraction faite des lois inspirées des textes sacrés des religions monothéistes qui  interdisent  la prostitution et quoiqu’on qualifie  cette pratique dans la langue populaire du ”  plus vieux métier du monde  ” , le simple fait qu’un être humain  monnaye son corps à des fins marchandes ne peut philosophiquement parlant  qu’être avilissant et dégradant  et  constituer même une offense grave  pour la dignité humaine . Cette vérité  paraît être  clairement présente dans l’esprit de la locutrice que l’auteur a choisie parmi cette catégorie de femmes et lui a offert l’occasion, dans ce poème, de faire part de sa façon propre de voir  sa situation dans le milieu où elle œuvre. Dans son discours qui  englobe tout le texte  et bien qu’elle y essaie de se convaincre  qu’elle est en position de force qui  lui permet de jouer le rôle d’agente  (  je suis une prostituée voulant te voir où plutôt piocher dans ta poche ce soir ) et non  d’être seulement une patiente ,  cette femme est expressément consciente du caractère humiliant de son métier et extrêmement dégoutée  par les conditions dans lesquelles elle l’accomplit (et je mange mon ambiance insalubre le long de mes vingt ans de ramassage  dans vos hôtels affreusement impurs )  . Cependant, des forces majeures  l’ont obligée et l’obligent encore à l’exercer (   mon frère meurt entre mes jambes de joie de fumer ton cœur malade et ma mère attend le déluge d’une bête salade et mon père caressant pauvrement son corps malade  ) ,ce qui en a fait  un personnage tragique  dont le sort est complètement entre les mains du destin . Et c’est là  où se situe la vraie intervention de l’auteur qui ne cache pas sa sympathie  à l’égard de cette damnée de la terre  qu’il appelle ” amie  “et qui représente  un boulot qui n’a jamais cessé d’exister depuis la nuit des temps  et qui existera  probablement toujours.

Sur le plan du style , le texte tire sa valeur esthétique de l’usage adroit et finement ciselé du monologue  qui a permis  d’opérer une introspection profonde de la psyché de l’auteure de cette tirade . Enfin, nous voici devant unautre   bon poème pluridimensionnel ( social , psychique , philosophique et esthétique )  .

 

Un commentaire

  1. Avatar

    Encore une autre fois très merci professeur pour cet intérêt honorablement senti par mes tripes

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