Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :8 – Les poèmes de José Le Moigne :8-4 : Inlassable


I

Inlassable moi-même
je dirai l’homme seul
homme gourd
homme sourd
homme chargé
d’alcool et de sagesse
inscrivant ses forêts
aux défauts des cuirasses

II

Inlassable ai-je dit
répétitif aussi
pareil au lourd martellement des bielles
au porphyre des nuits

1974

 

Le lecteur ne peut savoir si la date 1974 que l’auteur a inscrite en bas de ce texte, est celle de son écriture ou de sa première publication ou bien celle de sa propre photo qui lui avait été, paraît-il, prise à cette époque ou les deux à la fois.

Ces questions s’imposent surtout pour le critique qui connaît seulement les écrits que  ce poète a publiés au cours des dernières années, car dans le poème ci-présent nous trouvons étrangement les mêmes caractéristiques que dans ses nouveaux poèmes , notamment la courte taille et la forte condensation des sens au point où les sens dénotatifs y sont presque totalement absents comme si le style de l’auteur est demeuré le même  pendant près de quarante-trois ans .

Et puisque ce poème nous présente un autoportrait psychologique et comportemental de son auteur (tel qu’il est à l’heure actuelle ou comme il était à la première moitié des années soixante-dix ) , nous allons tenter de dégager les traits qu’il y a brossés, en interrogeant les connotations émises et en interprétant les symboles utilisés.

Ce qui est , tout particulièrement, frappant dans cet autoportrait est le regard critique très courageux que le locuteur porte sur soi-même , se permettant de reconnaître  ses défauts, de les regarder en face et de les  mettre en évidence (gourd, sourd, chargé d’alcool, inscrivant ses forêts aux défauts…, répétitif…), ce qui a conféré à sa description une sincérité rare pour un poète , étant donné que l’un des caractères les plus courants chez les artistes, en général, est la vision narcissique de soi.

Cependant, si l’on regarde de près ces traits et loin de toute considération morale, ils paraissent, au contraire, fructueux et positifs,  car « gourd (c.à.d. maladroit) peut avoir le sens d’« actes manqués » dont la présence laisse soupçonner l’effet insistant  d’un inconscient rebelle .Quant à la solitude, elle  est plus que nécessaire pour le poète  qui a absolument besoin d’être à l’écart pour contempler l’univers et évaluer son propre passé. La surdité, quant à elle,  peut bien signifier  la concentration sur l’état présent, l’alcool (: l’évasion de la réalité), les forêts (:la situation  d’incertitude dans laquelle il se débat), la répétition (:  les idées obsessionnelles qui le tourmentent) et ainsi de suite…Ce qui donne, en fin de compte, un portrait idéal d’un vrai poète.

Enfin, l’expression de tous ces sens avec très peu de mots est non seulement le trait stylistique le plus marquant dans ce texte mais ,comme nous l’avons dit plus haut, l’une des caractéristiques constantes du style de son auteur.

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